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Les passagers de la nuit
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Screenings in Swiss cinema theatres
Quand on hésite, dans un film, quand une forte émotion ne trouve pas nécessairement des mots dramatiques pour s’exprimer, c’est là que le cinéma exploite sa riche palette de possibilités. C’est le moment des couleurs, des pauses, des gestes, d’une musique inattendue, d’un raccord hardi qui racontent l’histoire à l’écran. Et l’histoire prend une forme sensiblement réelle sans céder aux dogmes naturalistes ou néo-réalistes. Voilà ce qui se passe dans Les passagers de la nuit, voilà pourquoi ce film est si sensuel, sans qu’il veuille plaire aux sens, qu’il est si envoûtant, sans qu’il veuille captiver le spectateur dans une expérience purement immersive.
Nous gardons notre distance en regardant ce film, grâce aussi à un rythme paisible, qui nous laisse le temps de réfléchir, qui nous laisse justement cette distance qui nous permet de goûter, sans les avaler, les saveurs d’une autre époque. La reconstruction des années 1980 faite par Michaël Hers se nourrit de quelques références anecdotiques, certes, mais elle travaille surtout à travers le choix du décor – y compris un XVème arrondissement parisien si rarement au grand écran –, et à travers des détails physiques – les cassettes, une chaise en cuir, une coupe de cheveux –, à créer une atmosphère, en rendant cet indéfinissable qui fait une époque.
Il faut l’avoir vécu, ce monde, pour en parler si précisément : voilà l’indéniable trace autobiographique qui marque Les passager de la nuit. Trace qui investit certainement la construction des personnages, typiques mais jamais prévisibles, nuancés-et-donc-réels, surtout dans leur évolution dramaturgique qui évite constamment le registre de l’extraordinaire ou du catastrophique. Sur ce fil presque documentaire, Élisabeth – une Charlotte Gainsbourg tout simplement parfaite – incarne la fusion d’indépendance et attention à l’Autre, et particulièrement de fragilité et résilience, combinaison insolite qui constitue une véritable signature d’originalité du film, encore une fois au nom du réel.
Oui, il ne faut pas de la violence pour rendre le réel – semble nous enseigner Michaël Hers – et j’ajouterai qu’il ne faut pas de transcendance pour rendre la grâce. Voilà un deuxième enseignement que nous pouvons tirer de cette histoire si inspirée de laïcisme, de tolérance, de bon sens. Et encore, pour ceux qui ont vécu les années 1980 : nous n’avons pas besoin de nostalgie pour faire revivre la mémoire. Nous avons juste besoin d’un bon film.
Text: Giuseppe Di Salvatore
Les passagers de la nuit | Film | Michaël Hers | FR 2022 | 111’
El gran movimiento
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Screenings in June 2022 at the Cinéma Spoutnik Genève and Bildrausch Filmfest Basel 2022
Il m’arrive, parfois, de voir des films qui n’existent pas. Je les fabrique dans ma tête à partir des images qui défilent sur l’écran. Ainsi, je ne saurais véritablement vous parler d’El gran movimiento, un premier long métrage qui souffre de cette tare propre aux premières œuvres que Luc Chessel décrit si bien, souvent partagées « entre ce qu’il faut faire pour réussir un premier film, et ce qui veut vraiment s’exprimer ». Kiro Russo a voulu réussir et il y est parvenu : non content d’être sélectionné à Orizzonti à Venise en 2021, il en est ressorti couronné du Prix spécial du Jury. Ma foi, c’est très bien. Cela aurait été encore mieux s’il avait fait un autre film. Celui-ci, je l’ai réalisé moi-même, dans ma tête. À dire la vérité, il transparaît, en puissance du moins, dans El gran movimiento. Parfois, il saute même aux yeux avant de battre en retraite. Vous voyez le truc ? Insaisissable et tangible à la fois. J’aime ça. Les choses qui échappent, je veux dire. Le cinéma, de toute manière, a toujours reposé sur la tension entre le visible et ce qui s’y dérobe. Bref, je m’égare. Ce film qui aurait pu exister, donc, aurait été un essai visuel sur l’aliénation urbaine (qui, en tant que phénomène irréductible à des causes exclusivement matérielles, est un magnifique sujet de cinéma). Il serait constitué des séquences d’El gran movimiento, assez nombreuses, qui auscultent La Paz à renfort de zooms à la lenteur appuyée et donnent à penser que ça craint cette ville, que ce n’est plus tenable. Chacune de ces séquences ne rate pas son effet : on se trouve saisi par l’impression de faire face à une métropole à l’agonie, filmée juste avant son effondrement. Si Kiro Russo avait évacué de son film récit et personnages, qui réduisent l’aliénation donnée à sentir par les séquences que j’évoquais plus haut à quelque drame individuel, nous l’aurions devant nous, ce bel essai visuel, et je vous en parlerais. Certes, il n’aurait peut-être par remporté de prix à Venise. Et alors ?
Text: Emilien Gür
El gran movimiento | Film | Kiro Russo | 2021 | 85’
Off Stage
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I can finally see the exhibition Off Stage almost at its offstage moment: It is the finissage day, summer temperatures make Baden brighter, and the Kunstraum offers fresh shadows of concentration. The video exhibition articulates the different aspects of what happens before, after, and beyond the stage. For example, the film’s sounds as meaningful bearers of the hors-cadre (Lea Fröhlicher, There Is Still Water, 2018), the rehearsal of singers in the form of staged performance and musical composition (Jannik Giger, Blind Audition, 2022), the pure observation of spontaneous offstage urban performances (Mireille Gros, More Than I Can Say, 2009). Between the poles of the offstage as filmic theme and the offstage as filmic reference, the exhibition expresses a clever curatorial idea from Claudia Spinelli.
What particularly impressed me – and gives me the opportunity to focus of one specific aspect of the offstage reflection in the exhibition – is Noha Mokhtar’s short video El hob wal melh / Love & Salt (2012). With a simple concept that could well work within the framework of a video essay, she places the excerpt of an old Egyptian telenovela on the stage of a home reception and, through the same gesture, she explores the posthumous offstage (a luxurious apartment) of what the telenovela refers to, that being the corruption around the confiscation of the royal wealth. Through a 360 degree camera movement, not only do real present and fictional past play dialectically together, but we go deep into the experience of ourselves as voyeurs. The voyeur attitude that is inherent to any filmic offstage finds here an intriguing magnification, or deepening, insofar as we cannot but form the experience of ourselves as tri-dimensional voyeurs. This amounts to unmasking the voyeurism of the filmic offstage, where the only offstage space will become our own point of view, our own body.
Text: Giuseppe Di Salvatore
Off Stage | Exhibition | Lea Fröhlicher, Mireille Gros, Jannik Giger, Zilla Leutenegger, Noha Mokhtar | Kunstraum Baden | Curator: Claudia Spinelli | 1/4-19/6/2022
Noha Mokhtar’s Website
107 Mothers
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Screenings in Swiss cinema theatres
Les corps nus de jeunes mères ukrainiennes occupent la première séquence du film de Peter Kerekes. Mais c’est l’évaluation clinique qui prime sur la beauté, car nous sommes dans une prison aux alentours d’Odessa, et le film raconte de la condition de ces mères punies. Punies avec leurs enfants, qui peuvent grandir dans les espaces exigus de la prison jusqu’à l’âge de 3 ans, pour se voir souvent séparés après de leurs mères. 107 Mothers reflète parfaitement dans la forme ce mélange de dureté et de tendresse, parce qu’il sait alterner avec bravoure un style sec, justement clinique, fait de témoignages frontaux et constats glaçants, et par un style esthétisant, fait de cadrages remplis de lumière et une centralité toute humaniste des personnages féminins.
Le récit à la fois documentariste et explicitement mis en scène, nous livre toute une série d’informations par le biais d’une ébauche de narration. Nous nous sentons quelque fois les destinataires d’une explication presque didactique – effet accentué par la figure bienveillante de la gardienne-protagoniste, laquelle montre également des éléments de fragilité. Cela aide à peindre un monde où tous apparaissent comme des victimes, victimes d’un système qui est incarné par la mentalité patriarcale générale et seulement en second lieu par les institutions (qui en sortent plutôt « humanisées »).
Indépendamment d’un jugement pour nous très difficile sur une question si délicate comme celle de distinguer les responsabilités entre mentalité ambiante et institutions, le film de Peter Kerekes, coécrit et coproduit avec Ivan Ostrochovsky, réussit magnifiquement dans sa tâche principale, celle de rendre aux femmes mères et prisonnières dignité et compréhension pour leur condition. Ce sera par les silences et un montage qui sait positivement surprendre quand le film exprime, par son rythme, cette condition spéciale où faute, amour, rancune, résignation et tendresse s’entremêlent parfaitement.
Text: Giuseppe Di Salvatore
107 Mothers | Film | Peter Kerekes | SVK 2021 | 90’ | FIFDH Genève 2022
Retour à Reims (Fragments)
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Screenings in May 2022 at the Cinéma CityClub Pully and Les cinémas du Grütli Genève
La devanture des images
En deux amples mouvements chapitrés et un épilogue, Jean-Gabriel Périot plonge dans l’histoire familiale d’une narratrice, la voix d’Adèle Haenel en off, revenant après une absence de trente années dans la ville de ses parents. Inspiré de l’essai éponyme de Didier Éribon (Fayard 2009), décrivant son retour à Reims après le décès de son père, il est rappelé combien il lui avait été nécessaire d’échapper à une condition sociale humiliante pour engager un parcours d’intellectuel, au loin d’une mère femme de ménage et plus tard ouvrière et dont la propre mère fut pendant la guerre une « poule à boche », tondue à la libération. Quant au père marié à 21 ans, deux enfants à 24 ans et guère capable d’en prendre soin, il fut détesté.
Fort d’un choix d’extraits du livre, l’ambition du réalisateur est de faire rendre à une histoire de famille prolétaire l’histoire du peuple de France dans le prisme des luttes de classes, du militantisme politique et syndical, des enthousiasmes idéologiques et des convictions militantes, des déconvenues et des désespérances collectives. La force de la démarche qui a vertu de leçons politiques est de monter en un récit cohérent des images issues de sources hétérogènes. On s’amuse à reconnaître furtivement des plans de Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo, de la Chronique d’un été (1961) de Jean Rouch et Edgar Morin et dans la foulée de Le Joli Mai (1962) de Chris Marker et Pierre Lhomme… ou encore Jean-Paul Belmondo très jeune faisant la fête dans un bistrot de quartier. À force de fragments de fictions et de documentaires, de reportages et d’enquêtes des années 1940 aux images des gilets jaunes du temps présent, le cinéaste articule un discours réflexif et soutenu. Les questions mises en perspective sont graves et fondatrices des inquiétudes contemporaines, qui voient les traditions de la classe des travailleurs liée aux partis de gauche et particulièrement communiste, se diluer pour nourrir progressivement, par effets répétés d’humiliation, le sol de l’extrême droite.
Le propos est brillant, il apporte une lecture synthétique de l’histoire des 80 dernières années. Mais ce qui fait saillie par-delà le commentaire docte, sont ces moments au cours desquels des ouvriers et ouvrières prennent véritablement place dans le récit. Leurs visages, leurs voix dans l’expression sans artifice de leurs expériences de vie, acquièrent une dimension dramatique qui leste d’une émotion sans fard le flux du montage. C’est le jeu de la voix off et in qui se manifeste en une complémentarité nécessaire. L’évidence de la violence de l’exploitation dans les usines est dramatique, quand ce père dit ne plus pouvoir toucher ni sa fille, ni sa femme, tellement ses mains sont bouffées par des produits toxiques. À ce moment, l’évidence de vérité du témoignage confère au récit une ampleur considérable. L’évidence de ces plans aménage une déflagration dans le flux du texte lu. Une trace indélébile de l’histoire ouvrière dont le seul texte ne saurait donner l’entière dimension.
Retour à Reims hésite, par trop, à faire pleinement confiance en ses images, Jean-Gabriel Périot cédant parfois à la redondance du texte avec les images en réduisant des scènes filmées à une fonction illustrative. L’équilibre texte et image est fragile, leur lien est fait d’influences réciproques, de tensions exigeantes. Et parfois, salutairement, des scènes prennent de façon cinglante leur ascendant sur la lecture, faisant valoir une espèce de revanche à l’endroit d’une dramaturgie corsetée par un texte omniscient.
C’est ce parler vrai ou frais, comme dit Raymond Depardon, qui instille des traces du réel au cœur de l’architecture de Retour à Reims. Mais que serait une suite à donner à Retour à Reims, fait d’un retour approfondi dans les images de ces temps-là. On pense à une traversée iconoclaste de ce territoire, à la manière de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi ou de Haroun Farocki, proposant dans la chair même des plans une lecture anthropologique et forcément politique des codes et des systèmes symboliques à l’œuvre. Ceci pourrait se dérouler sans doute dans le silence qui gronde au dos de ces images.
Text: Jean Perret
Retour à Reims (Fragments) | Film | Jean-Gabriel Périot | FR 2021 | 80’ | Geneva International Film Festival 2021
Un monde
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Screenings in Swiss cinema theatres
Le style d’Un monde, c’est bien le naturalisme, mais d’une radicalité telle que même les détracteurs du naturalisme au cinéma sauront apprécier l’expérience extraordinaire que le film de Laura Wandel procure. Car à travers le monde de l’enfance de Nora, c’est la nature elle-même qui se présente à nous, sans concession aucune et avec cette cruauté gratuite dont les enfants – et les hommes réduits à leur état de nature – sont capables. Avec rigueur, la caméra ne quitte jamais les yeux et la perception de la petite fille, en nous restituant ainsi ses émotions et ses dilemmes dans un état de pureté, car tout simplement dépouillés du contexte du grand monde – ou bien du monde des adultes. Au contraire, celui-ci est perçu dans toute sa distance douloureuse, englouti dans une bienveillance qui ne réussit point à faire disparaître l’incompréhension fondamentale par rapport aux drames aigus des petits. En effet, l’histoire de Nora et de ses compagnons raconte bien, indirectement, les malaises et les injustices de la société en général, mais la vertu d’Un monde restera celle de ne pas instrumentaliser cette histoire, mais de lui rendre justice dans sa spécificité enfantine – et pour cela seulement, universelle – dans laquelle les souvenirs de notre enfance trouveront facilement un écho émotif de grande intensité.
Text: Giuseppe Di Salvatore
Un monde | Film | Laura Wandel | BE 2021 | 72’
Zahorí
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Screenings in Swiss cinema theatres
Mora (Lara Tortosa) has a wild spirit. Despite growing up in the boundary free beauty of the Argentinian West, she experiences her world as tethered, like her old friend Nazareno’s (touchingly played by Santos Curapil) horse Zahorí is to a pole. She is tethered by rules, institutional learning, sexism, superstition and ideological Buddhist parents who have moved to this barren place, carving a simple existence from thick volcanic ash. Mora negotiates her adolescence in these desolate surrounds, oozing a temporality that is more cowboy than TikTok.
We come to understand the characters through the swelling land roughly corniced by the Patagonian mountainscape. Shots track and linger upon Mora, her little brother Himeko (Cirilo Wesley), Nazareno and two Christian Soldiers, all marching to a different drum. They walk between scattered dwellings with playful curiosity, reverie or retrieval. I’m reminded of Gus Van Sant’s Gerry (2003) where the camera mediates its relationship with the landscape entirely through two walking figures—but the formers contact with the wilderness is constituted far less violently.
The spectre of Argentina’s strong missionary past descends, almost as ridiculous as a scene from the Book of Mormons, the intrusion ultimately corrupting the contiguity of body, spirit and nature that Nazareno possesses and Mora frantically cultivates. The importation of other faiths fails in principle and practice: Buddhist vegetarians go hungry and Christians falter at the unburied in their refusals to accept the cycle of desert life.
Zahorí is a meditation on death as loss and freedom. Everyone contemplates it, even the scarab beetles predict our finitude. Relationships die. Animal bones lace every turn. Like Mora, the frenzied Zahorí charges the plains, finally coming to rest; the true tether, "life itself", becoming ashes.
Zahorí is Marí Alessandri’s debut feature as both Director and Writer. She provides a feminine and innocent view of these harsh lands through Mora, a contemporary Calamity Jane who straddles her freedom to walk in the shoes of a fading Gaucho. A film to be viewed on the big screen in order to soak up the changing ambience of light, wind and inky depths of night with flashes of chiaroscuro (Joakim Chardonnens). A very fine contribution by an astute filmmaker who understands how to embody place.
Text: Jodie McNeilly-Renaudie
Zahorí | Film | Mari Alessandrini | CH-ARG-CHL-FR 2021 | 105' | Locarno Film Festival 2021, Filmar en América latina Genève 2021
Far Away Eyes
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An airplane crosses the black sky: it is a moving image, but also a photo. Chun-Hong Wang’s film plays wonderfully with the tension between the two media. A highly accurate framing sinks the narrative elements into the contemplation of Taipei nights, whose highly aesthetic impressions fulfil the ellipses of the storytelling. In this way, the immobility of the photo prevails on the movement of the images. The story of a separation and division of the Taiwanese society during the recent elections opens a disorienting void where a melancholic mood can flood freely. At least in our experience the tension of the cinematic narration almost dissolves into a photographic emotive freezing.
However, the strong photographic impressions that constitute Far Away Eyes still deliver movements and action within the image. The entire urban landscape is thus contained in the panoramic feeling of nostalgia, like a story is contained in a book. Taipei’s reality becomes a literary reverie. She (the ex-girlfriend) will appear with him on the motorbike again, just for a moment, be it in his memory or in his imagination. His writing will be preferred to the opportunity for a last meeting with her. She leaves for good. Taipei remains, for him, as a wonderful and elegant ruin. As a wonderful and elegant ruin. Yes, Chun-Hong Wang’s hyper-aestheticism is fully almost heavily meaningful. As is his use of photography in dialectic tension with cinema.
Text: Giuseppe Di Salvatore
Far Away Eyes | Film | Chun-Hong Wang | TWN-FR 2021 | 79’ | Visions du Réel Nyon 2022